J 128 bis – PCT Epilogue

Plusieurs jours ont passé depuis l’arrivée à Manning Park. Il aura fallu atterrir doucement et reprendre un peu le contrôle d’une vie vagabonde et insouciante.

Dernières traces sur le PCT


Après avoir passé quelques heures, côté canadien de la frontière, j’ai marché dans l’autre sens, en revenant sur mes traces jusqu’à Harts Pass avec la légèreté de ceux qui n’ont plus rien à prouver. Croisant et encourageant mes camarades dans leur dernière ligne droite. Je les enviais presque d’avoir encore quelques émotions à vivre avant l’arrivée.
Le 7 septembre, peu avant d’atteindre Harts Pass, je reconnais la silhouette de Crocodile. Au comble de notre joie de partager quelques minutes ensemble, nous nous félicitons mutuellement et avons du mal à contenir un trop plein d’émotion. Partis le 1er mai, nous aurons quasiment terminé ensemble cette aventure.

Viggo et Crocodile (PCT Class 19)

J’apprendrai, plus tard, que Psycho  atteindra le Canada le 10 Septembre et retrouvera Crocodile pour quelques heures.

Wesley « Psycho » made it !!!


De mon côté, Harts Pass marque l’ultime étape de ce PCT à rallonge. Un magnifique « trail magic » pour finir en beauté. De ces moments de partage et de simplicité qui donnent du relief à la vie.
Et comme celle-ci n’est pas avare de bonnes surprises, je retrouve Lucile, une française rencontrée (en janvier 2019) à Paris lors d’une réunion organisée entre futurs PCTistes. Elle a terminé en compagnie de Wolfie, un danois. Même s’ils n’ont pas parcouru l’intégralité du chemin, leur aventure aura été à la fois éprouvante physiquement et gratifiante sur le plan sentimental. Car ils sont tombés amoureux au fil du parcours.

Wolfie et Lucile

Autour du feu, nous sympathisons avec un couple d’Américains venus soutenir les « finishers ». Passionnés d’escalade, ils possèdent un chalet non loin de Mazama Village où ils ont décidé de vivre à l’année. Les discussions tournent sur l’après PCT. Et là possibilité d’aller au Mexique, dont ils reviennent enthousiaste après un voyage de 6 mois.
Tout naturellement, Jerry et sa femme, Annette, nous proposent (à Lucile, Wolfie et moi) de passer la nuit chez eux.
Ce fut une magnifique façon de terminer cette aventure. Un accueil chaleureux, un repas préparé en commun (avec baguette et fromage ) et le sentiment de partager ces moments privilégiés comme les membres d’une même famille.

Annette, Wolfie, Lucile et Jerry
Apéro autour du foyer
Préparation du dîner

Le lendemain, après un petit déjeuner copieux, ce sera le temps des adieux. Jerry me conduit gentiment jusqu’à la petite ville voisine de Winthrop où je passerai 3 jours à me reposer avant de rallier Seattle. Entre lecture, écriture, vidéos, burgers, bières et longues discussions avec les « PCT hikers » de passage, j’ai apprécié ces journées.

Avec Annette et Jerry, best « trail angels » ever !

J’ai eu le temps de troquer ma tenue d’aventurier contre quelques fringues plus classiques pour me préparer au retour à la ville. Un jean, deux tee-shirts et un sweat. Une coupe de cheveux chez le barbier local.

Retour (slow) à la real life

Puis, je prendrai le bus pour Seattle, via Wenatchee, afin de retrouver physiquement celle qui a « marché avec moi » pendant ces 128 jours.
Une autre magnifique aventure, à partager, se présente à nous.

Un road-trip de 3 mois qui nous mènera dans le grand Ouest américain, sur les traces des aztèques au Mexique puis dans les premiers frimas de l’hiver canadien.


Une explosion de souvenirs, d’images et d’imprévus.
Il y aurait tant à raconter.
Mais c’est déjà une autre histoire.

Beautiful Widerness
Oregon Coast
Golden Gate Bridge
Nuit à Monument Park

See U soon.

J 128 – 5 septembre. Canada (Monument 78) puis Manning Park (Mile 2662)

9h05, ce jeudi 5 septembre, j’ai aperçu, légèrement à l’ouest la longue saignée rectiligne dans la forêt. Elle traverse la montagne comme une clairière artificielle, déroulant un ruban de 30 mètres de large faisant office de frontière entre deux des plus grands pays de la planète.

Pas de mur pour marquer la frontière

Il reste quelques virages en descente sur un sentier très étroit. Les herbes hautes et les buissons sont gorgés d’humidité et alourdissent mes chaussures. Mes pieds sont trempés. Je m’en fous.

Je tends l’oreille. Un cri de joie à une centaine de mètres annonce l’imminence de la borne frontière. Ce monument de bois tellement vu en photos (sur les réseaux sociaux, sur les sites web) et marquant la fin du Pacific Crest Trail et l’entrée au Canada.

Parti à 7 heures de Hopkins Lake, j’ai marché presque au ralenti. Grappillant les baies le long du chemin, observant les coqs de bruyère, prenant en photos les fleurs sauvages. Je fais durer le plaisir. Je retiens le moment où j’atteindrai ce bout du chemin tant espéré.

Réveil au bord du lac
Here we are

Une chose est sûre, je finirai le PCT sous le soleil. Ayant jusqu’au bout bénéficié d’une météo exceptionnellement clémente dans ce Washington tant redouté pour son rude climat. Un moindre réconfort pour avoir eu tant de pluie et de neige en Californie.

Yukon, le taciturne, me suit de loin. Lui aussi semble avoir ralenti son rythme et profiter de ces derniers miles sur le chemin. D’autres ne sont même pas encore partis du bivouac ce matin.

Hier soir, sous la tente, j’ai passé en revue de nombreuses photos prises pendant ces 128 jours. C’est fou comme chaque cliché me renvoie immédiatement à un souvenir précis. Un peu comme si la mémoire avait imprimé chaque lieu, chaque minute de cette aventure. Sur le chemin, la vie est simple et intense à la fois. Être ancré dans le moment présent, ressentir pleinement les émotions, s’ennuyer parfois et s’emerveiller souvent, c’est une superbe fabrique à souvenirs.

Comment pourrais-je oublier ces dernières foulées avant le Canada ? Dans un ultime virage, j’aperçois la borne frontière. Le coeur s’emballe, les yeux s’embrument. Ça y est, j’y suis. J’ai traversé un pays. Immense, sauvage, déroutant, accueillant, …

La borne frontière du Monument 78

C’est encore trop tôt et trop confus pour tenter de mettre des mots sur tout cela. Je m’abandonne simplement au moment présent. Sans les connaître, je salue chaleureusement deux hikers présents sur les lieux. Nous nous serrons dans les bras. Les yeux sont rouges. Nous crions, jurons et chantons. Rien de cohérent, juste un lâcher prise. Je hurle en français: « Putain, c’est bon, on l’a fait ». Yukon arrive et me répond « Fuck! You’re right, we made it ». Puis vient la séance des photos où chacun se pose sur le Monument pour immortaliser l’instant. Nous nous prenons en photo mutuellement et inscrivons notre nom sur le registre. J’ajoute une phrase à l’attention de mes proches, à qui je pense en cet instant. D’une certaine façon, je leur dois cette aventure.

Made it !
Trail register

Je reste une heure à apprécier l’instant et à retrouver la sérénité nécessaire pour poursuivre vers Manning Park.

Nouveau pays

Il reste 8 miles pour atteindre Manning Park. Le chemin est mal dessiné et peu intéressant. Cela n’a pas d’importance. Je marche avec Yukon, redevenu muet. Je pense à Crocodile et Psycho qui ont été mes compagnons de route sur une grande partie du chemin. Puissent-ils vivre pleinement ces instants. Nous aurions pu, peut-être, les partager. Mais comme un concentré de vie, les trois grands solitaires que nous sommes ont choisi d’aller à leur rythme, au gré de leurs envies et de leurs choix. C’est ainsi que les trajectoires se dessinent

Avec Psycho et Crocodile

J’atteins Manning Park vers 12h30. En quelques minutes sur place, je sais que je ne resterai pas. L’endroit ne me plait pas. Certes, nous avons droit à un « bon pour une douche et une boisson gratuites », mais nous sentons bien que l’endroit est dédié à un tourisme élitiste. Aucun campsite pour les PCT hikers, sauf à faire quelques kilomètres pour payer 25 $ un emplacement. Et puis, il me reste plus d’une semaine avant de devoir rejoindre Seattle pour accueillir ma belle.

Manning Park

C’est une évidence. Je vais repartir sur le PCT. Repasser la frontière dans l’autre sens et atteindre en deux petites journées Harts Pass. D’où je pourrai trouver un véhicule pour rejoindre Winthrop. Quelques jours de bonus sur le PCT. L’occasion de croiser et de féliciter les autres finishers. De me reposer dans une ville agréable aux moindres frais. Et de rester encore un peu dans l’esprit du chemin.

Back to the lake

Ce soir, je pose ma tente au Canada, peu avant la borne frontière. Je gratte quelques heures de plus et continue cette aventure. Je pense aux mots écrits sur le registre: fierté et plénitude.

Entre le 1er Mai et le 5 Septembre 2019, j’ai marché 128 jours et 4270 km entre le Mexique et le Canada. J’ai traversé un pays. J’étais libre. J’étais heureux.

Fierté et plénitude

J 127 – 4 septembre. Hopkins Lake (Mile 2646).

Encore une très belle étape. Qui a démarré par un vrai petit déjeuner et du café chaud. Le trail magic d’Hélène et Mathieu restera un incroyable souvenir. A quelques encablures de la frontière canadienne, loin de tout, cet oasis de générosité donne un sens quasi mystique à la fin du périple.

J’ai appris, tout au long de ce parcours hors norme, à accepter la main tendue et l’aide de mes semblables. Faisant tomber certaines barrières qui, entre éducation et fierté mal placée, ont longtemps tenu les autres à distance. La vie est plus simple ainsi.

Je quitte ce petit groupe, félicite encore les « finishers », remercie les « angels » et reprend le chemin sous le soleil du matin.

Entre Harts Pass et Windy Pass
Dernier château d’eau

Les paysages sont grandioses. Tels que je les aime, sans barrières, sans rideaux d’arbres. Où le regard peut scruter l’horizon et apprécier les perspectives. Entre les couleurs automnales du gazon naturel, les crêtes affûtées, le tracé du chemin en balcon et les reliefs en fond de tableau qui semblent infinis à l’oeil, on se sent à la fois libre et vulnérable.

Paysage du Paysaten Wilderness
Lakeview Ridge
PCT en ligne de crête
A 10 miles du Canada

A la faveur de quelques buissons généreux, je me gave de baies sauvages (myrtilles et framboises) en ralentissant consciemment le rythme. Je dégaine facilement le smartphone pour prendre quelques clichés de ce qui m’entoure. Je ne suis pas pressé.

So wild.
Cavaliers sur le PCT

Le chemin dessine des arabesques à flanc de montagne, déroulant un long ruban de sable ou de pierre vers le Canada que l’on devine au loin.

Avant Windy Pass

Peu de hikers (Je croise et félicite quelques finishers). Les sourires sont de rigueur, accompagnés d’un « Congrats guys ! » et d’une tape de la main à la manière des checks des ados.

Powder Mountain

Encore quelques beaux paysages en ligne de crête avant d’entamer une descente en surplomb du lac Hopkins où j’ai décidé de passer la nuit. Ses eaux calmes et reposantes sont propices à méditer et mettre un peu d’ordre dans le tourbillon de pensées et de sensations qui m’animent.

Hopkins Lake

Putain, je ne suis plus qu’à 6 miles de la frontière ! Une paille, une promenade, une dernière ligne droite après ces milliers de kilomètres à pied dans le grand Ouest sauvage.

Dernier lac US

Il y a 3 autres tentes au bord du lac. Je salue Yukon, un texan à la barbe hirsute que j’ai souvent croisé depuis Stehekin. Il me demande à quelle heure je compte partir demain matin car il ne souhaite pas se retrouver seul au monument frontière. Personne ne le souhaite. Ne serait-ce que pour avoir quelqu’un qui nous prenne en photo pour immortaliser l’instant. Et aussi, quand bien même cette aventure est solitaire, pour partager ce moment de joie et d’abandon.

Un dernier bivouac sous les étoiles. Je choisis un emplacement avec soin de ne m’exposer à aucune chute d’arbre. Ce serait trop con de mourir si près du but. Je me doute que cela puisse paraitre ridicule mais ces derniers instants sur le PCT sont tellement intenses à vivre qu’il n’y a plus de place pour un comportement 100% rationnel.

Hopkins Lake by night

Ce soir, sous la tente amie et confidente, je pense à ceux que j’aime. Ils sont dans ma vie une force qui m’anime, m’accompagne et me soutient. Dans cette aventure itinérante d’ermite, ils ont toujours été avec moi. Tous ceux qui marchent sur le PCT n’ont pas cette chance.

Entente mutuelle … chacun se nourrit de l’autre

J 126 – 3 septembre. Mile 2622.

Cette fois c’est la dernière. En faisant mon sac, je vérifie qu’il me reste suffisamment de nourriture pour les trois prochains jours. Il n’y aura plus de « zero » ou de « nero », plus de ville ou de village avant le Canada.

Je trouve facilement une voiture pour me ramener sur le PCT. En discutant de mon périple avec Eve et Randy, ils s’enthousiasment pour cette fin de parcours.  » Dans trois jours, c’est le Canada. Vous devez être fier de vous ? ». Je fais une moue dubitative, je ne m’étais jamais vraiment posé la question. Mais tout naturellement, je réponds que « oui, je suis fier d’être allé au bout de ce qui n’était encore qu’un rêve il y a quatre mois ». Finalement, la vie ne nous donne pas toujours l’occasion d’éprouver ce sentiment. Autant le reconnaître et l’apprécier pleinement.

Eve et Randy, trail angels.

Difficile, d’ailleurs, d’exprimer ce que je ressens. Il y a à la fois de la joie et de la tristesse. Comme la fin d’un très bon roman (quand il ne reste que quelques pages à lire) dont on ne voudrait jamais quitter l’histoire. Mais aussi, c’est vrai, une forme d’accomplissement, de victoire sur soi-même. Un immense plein de confiance.

Et toi, t’en penses quoi du PCT ?

La fin du North Cascade est juste magnifique. Je ne pouvais rêver plus bel épilogue pour cette aventure. Quelques conifères habillent élégamment de belles montagnes couvertes de buissons et de fleurs. Le regard porte loin vers des pics enneigés et un ciel étonnamment clair.

Evergreen State
sometimes golden…
…and red
but so beautiful

Aux confins de l’Amérique des grands espaces, il règne un parfum de liberté. Rien d’oppressant dans ce bout du monde oublié des routes. Tel mes collègues hikers, je marche d’un pas alerte. Le corps délié, façonné par plus de 4200 kilomètres à pied, semble invincible et paré à toutes les fantaisies du chemin. Lequel déroule ses derniers miles dans une succession de montées et descentes.

Après Rainy Pass

Entre Rainy Pass et Hart Pass, le parcours est exigeant. Le temps passe vite car l’esprit est occupé à déchiffrer les multiples sensations provoquées par ce « final ».

Parfois, dans les passages offrant une vue dégagée sur l’horizon, je m’assois dos à la paroi juste pour contempler le paysage. Impossible de se lasser des « crêtes du Pacifique ».

C’est beau
C’est grand
C’est loin

Alors que je pensais m’arrêter à Glacier Pass (qui porte mal son nom), je me sens suffisamment en forme pour poursuivre jusqu’à Harts Pass. C’est la toute dernière route forestière avant le Canada. L’endroit est également réputé pour son trail magic.

Pas besoin de GPS

En effet, de nombreux hikers n’ayant pas le permis spécial pour entrer au Canada, après avoir atteint la borne frontière du Monument 78, rebroussent chemin vers Harts Pass où ils peuvent éventuellement trouver un véhicule pour Mazama ou Winthrop. Harts Pass est donc un col fréquenté où se retrouvent les hikers ayant fini leur PCT et ceux en passe de le terminer.

Quand j’atteins ce col, au prix d’une dernière succession de montées et descentes abruptes, je suis récompensé de mes efforts.

Un des derniers cols
Harts Pass

Il y a là un petit noyau d’humanité autour d’un feu de camp. Quelques tentes et une table remplie de victuailles. Ils m’accueillent tous chaleureusement. Parmi eux, il y a notamment un couple de trails angels originaires de Québec (mais résidant en Alberta): Hélène et Mathieu. Et deux PCT hikers ayant déjà atteint la frontière: Druid (Texas) et Stock foot (Nevada). Ainsi que quelques « section hikers ».

Stock foot, Druid, two Sisters, Hélène et Mathieu.
Hmmm, des gâteaux !
Affamés, ne pas s’abstenir !

Je vais passer ici une soirée vraiment sympathique, manger à ma faim et discuter du chemin (et de la vie) autour du feu. Un de ces moments simples et humains qui sont le sel de cette aventure. Puis, après une averse orageuse, je pars installer la tente pour une nuit réparatrice.

Canada, j’arrive !

J 125 – 2 septembre. Mile 2592 (puis Winthrop).

Cette nuit à Stehekin à été une des plus chaudes. Impossible de dormir à l’intérieur du sac de couchage. Ce PCT est un peu fou. Avoir eu si froid dans le désert californien et crever de chaud aux abords de la frontière canadienne.

Quoiqu’il en soit, je suis quand même reposé de cette étape confortable au bord du lac Chelan. Le premier bus rouge qui ramène la poignée de hikers au PCT part à 8h15 mais fait une halte à la « bakery ». Aussi, tout le monde fait le plein de friandises pour l’étape du jour. Pour ma part, j’achète deux calzones (bacon/cheddar et pesto) et un sablé caramelita. Ça changera des tortillas habituelles.

Last national Park before Canada

L’étape du jour est courte et facile, malgré la chaleur et un profil faisant la part belle aux dénivelés positifs. Il faut dire que j’ai pris la décision de tenter l’autostop à Rainy Pass pour passer une dernière nuit confortable dans un village US. La motivation pour une douche, une lessive et quelques bières fraîches, ça donne des ailes.

Le paysage est toujours aussi grandiose. Et, franchement, je me sens chanceux de pouvoir l’admirer par temps ensoleillé.

Les passages à découvert sont nombreux, même si le PCT replonge parfois au coeur de la jungle en quête de fraîcheur et d’eau claire.

Le PCT plonge vers la rivière
Se fraie un chemin dans les buissons

Encore une fois je marche seul et ne croise quasiment personne. Quelques randonneurs à la journée, deux cavaliers PCTistes et Susan, une prof à la retraite qui parcourt 500 miles avec ses deux chiens affublés de leur propre sac à dos.

PCT horse riders
Susan et ses chiens

Peu de lacs aujourd’hui mais toujours autant de ruisseaux et de rivières pour pouvoir étancher la soif.

Howard Lake
Seasonal stream
Creek

C’est d’ailleurs au bord de l’un deux, Maple Creek, que je fais la pause déjeuner. Les abords sont envahis de grands papillons qui apportent une touche exotique à cet endroit.

Butterflies creek
Et un de ses habitants.

Le reste de l’étape se déroule en montée régulière, plutôt à l’ombre, jusqu’à Rainy Pass où le PCT croise la highway 20.

Il est 16 heures. La route est très fréquentée par les touristes mais il faudra attendre 45 minutes avant qu’un véhicule (un couple d’habitants du coin) s’arrête. En effet, les touristes ne connaissent pas le PCT et sont moins enclins à venir en aide aux hikers.

C’est pour demain
Highway 20

Dès l’arrivée à Winthrop, je ne regrette pas cette dernière halte. Le village de type western est adorable. Tous les bâtiments font penser au far-west. Malgré la petite taille de cette bourgade, il y a de nombreux bars et restaurants, quatre hôtels, deux stores et deux magasins de sport.

Winthrop I
Winthrop II

Faisant confiance à Guthook (l’appli du PCT), je trouve une chambre au très « hiker friendly » North Cascades Mountain Hostel.

Hostel

L’endroit est cool et agréable. Laundry gratuite. Cuisine, salon et jardin à disponibilité de tous. Le tout à 2 minutes de tous les commerces. C’est le bon endroit pour une dernière nuit confortable dans une ville US.

Il y a ici quelques passionnés de montagne et PCT hikers. Certains sont Sobos, d’autres ont déjà atteint la frontière puis, faute de visa canadien, sont revenus se relaxer ici. Enfin, il y a (comme moi) deux ou trois Nobos presque arrivés.

Parmi les Sobos, certains ont parcouru le PCT en partant du Mexique puis ont skippé une ou plusieurs sections pour finir le PCT dans le Washington. C’est le cas d’Emma et de King qui ont été jusqu’à la frontière canadienne. Ils entament maintenant la fin de leur PCT en marchant vers le sud. Emma est française et, fait du hasard, nous nous suivions mutuellement sur les réseaux sociaux . Elle aussi aborde le PCT dans une démarche de simplicité conforme à une vie moins « encombrée » de biens matériels. Epanouie et bienveillante, Emma est très sympathique. Elle a rencontré King sur le chemin et forme avec lui un couple harmonieux.

King et Emma

Après le rituel ‘douche, lessive et ravitaillement’, je vais traîner dans ce « OK Corral » du Nord en quête d’un bon repas et d’une IPA locale. L’endroit idoine sera la charmante « Old School House Brewery » où j’ai passé un excellent moment devant un match de US football.

Winthrop by night
Old school house brewery

Je me sens tellement bien à Winthrop que je serais prêt (peut-être) à revenir dans cette ville après le PCT, en attendant que ma chérie atterrisse à Seattle le 13 septembre.

Bref, tout cela est encore à des années lumières à l’échelle du PCT hiker qui avance à horizon de 24 heures. Il me reste encore, en ce deuxième jour de septembre, au moins … 60 miles avant d’atteindre le Canada. Des milliers de pas vers l’inconnu.

Laisser couler le temps…

J 124 – 1er septembre. Stehekin (Mile 2572).

Quatre mois ont passé. Vite, si vite. Finalement à l’échelle d’une vie ou d’un pays, ce n’est rien. Ou si peu. Nous déroulons le fil des jours avec plus ou moins d’intensité, ralentissant ou accélérant le temps selon nos actes ou la perception que nous en avons. Chacun son chemin.

Encore un matin

Après les grands espaces traversés ces derniers jours, le chemin me ramène dans le tunnel vert. Fort à propos tant il fait chaud. Exceptionnellement dans cette région connue pour amorcer l’hiver dès les derniers jours d’août. Je peux m’estimer heureux d’éviter le brouillard et la pluie légendaires du Washington.

Back in the forest

Encore quelques panoramas à l’approche de Cloudy Pass puis, progressivement, le PCT va entamer une longue descente vers High Bridge le long des gorges de la Stehekin river.

A la croisée des chemins
Col deboutonné
Une montagne peut en cacher une autre
Pics â l’ouest

Sur cette section, je me traîne lamentablement sans chercher à accélérer le pas. En effet, j’ai réalisé (un peu tard) que je n’aurai aucune possibilité de récupérer le colis de surplus (vêtements, matériel) envoyé depuis Tehachapi début juin. Nous sommes Dimanche, la poste est fermée. Et demain est jour férié aux USA (Labor day). Je suis quitte pour poursuivre jusqu’au Canada et envisager, sous une forme (à pied) ou une autre (bateau) de repasser à Stehekin lors du road trip que nous ferons avec ma belle, après le PCT.

Un des nombreux ponts de cette section

Peu importe, ça fait partie de l’aventure. Et ce que je decouvrirai de ce petit bout du monde qu’est Stehekin ne me deplaira pas.

J’arrive à High Bridge peu avant 15 heures, ce qui me permet de prendre le vieux bus rouge qui assure la navette jusqu’à Stehekin. Hormis quelques promeneurs à la journée, nous sommes 3 PCT hikers.

High Bridge
Stehekin river
Gorges de la Stehekin river
Le bus rouge pour Stehekin

Le bus nous dépose devant la fameuse « bakery » qui s’est construit une solide réputation au fil des années. Évidemment, pour des hikers affamés c’est un pur plaisir. Je choisis un roulé aux noix et un scone aux myrtilles (plus café à volonté). Et je vais ainsi profiter du jardin ombragé pour déguster le tout.

La fameuse pâtisserie
Ses spécialités
A déguster

Par la suite je prends une des navettes gratuites qui me mène jusqu’au minuscule coeur de village installé au bord du lac Chelan. Le cadre est paradisiaque. Entouré de hautes montagnes, le village n’est accessible que par la voie des eaux. Un bateau assurant la liaison avec Chelan (3 heures de traversée) 3 fois par jour. C’est le prix de la tranquillité.

Bout du lac
Les deux moyens de transport.
Un petit air de Méditerranée

Je passe par le centre d’information pour obtenir (gratuitement) un permis de camper dans un des campgrounds du village. Puis après avoir installé ma tente avec une vue partielle sur le lac, je vais me poser à la terrasse du Lodge face au lac pour quelques instants de farniente/blogging.

Centre d’information
Emplacement gratuit
Sur la terrasse du lodge

Le fait de pouvoir joindre ma « belle » (désolé pour le réveil au milieu de la nuit 😉) malgré le faible signal wifi apporte une touche finale à cette belle journée.

80 miles environ me séparent de la frontière canadienne. Stehekin sera mon avant dernière ville américaine. J’envisage de m’arrêter demain soir, pour un dernier ravitaillement, à Mazama ou à Winthrop.

Time for dinner

We will see. Les PCT hikers avancent à horizon de 24 heures sans parvenir à se projeter davantage. Il y a toujours de la place pour l’imprévu. Et c’est ainsi que se construisent les belles histoires.

Sunset sur le lac Chelan
Là-bas le PCT

J 122/123 : 30 et 31 août. Mile 2520 et 2553.

Je relate de mémoire ces deux journées magnifiques et épuisantes dans un même post car j’ai dû limiter l’usage du smartphone. En effet, la powerbank m’a joué un vilain tour en tombant en rade après seulement une charge. Sans doute un défaut d’alimentation à Leavenworth.

Toujours est-il que j’ai vécu les plus belles étapes du North Cascade. Panoramas grandioses, contournement des glaciers, sentiers en ligne de crête… sous un ciel lumineux.

Versant sud (très sec)
Versant Nord
Au loin, Glacier au dessus des nuages.

Septième ours au compteur. Mais trop loin pour un cliché mémorable. Et toujours aussi timide à l’approche (Il a détalé en contrebas dès que je me suis mis à siffler).

Et puis, quelque part autour du Mile 2492, ce fut la passage ô combien symbolique des 4000 km. Au terme du 4ème mois de cette aventure. L’été finit doucement sa carrière, les vacanciers et les hirondelles regagnent leurs quartiers d’hiver, les forêts se drapent en sang et or, le Canada me tend ses bras et je suis en passe de réaliser ce rêve fou de traverser à pied les USA par la ligne de crête du Pacifique.

So beautiful

Je ne sais comment trouver le bon rythme. Tout m’invite à profiter pleinement de ce dernier chapitre. De traîner au bord des lacs, de m’asseoir au dessus des nuages, de goûter l’art de ne rien faire. Mais aussi, réconcilié avec un corps prêt à toutes les escalades, pris dans un élan de progression inéluctable et désireux de franchir une ligne d’arrivée comme s’il s’agissait d’une compétition avec soi-même, j’avance et avance encore.

Un saphir dans son écrin
Un résumé du North Cascade
PCT en ligne de crête

Pourtant, je goûte pleinement le moment présent. Conscient de cette chance et de la force qui m’anime. Je marche en solitaire, au milieu de nulle part, mais je ne suis pas seul. Le moment venu, je remercierai tous ceux qui me portent et m’accompagnent dans cette échappée belle.

A l’approche de Cloudy Pass

J 121 – 29 août. Mile 2490.

Ce matin, j’ai la chance de trouver rapidement une voiture pour me ramener à Steven Pass. La conductrice m’apprend le décès d’un hiker sur le PCT. C’est arrivé mardi, peu avant Trout Lake. Un jeune allemand de 28 ans a été écrasé par un arbre en passant sur un pont.

Il est fort possible que j’aie croisé sa route lors de cette aventure et, même si je ne le connaissais pas, j’ai le sentiment d’avoir perdu un proche. Je ne peux réprimer une forte émotion devant un tel fait de la destinée. Comme nous tous qui formons cette famille du trail, il était venu vivre un rêve et une belle aventure. Conscient des dangers et des difficultés mais pas au point d’y laisser la vie. Je n’aurai de cesse de penser, comme pour me rassurer, qu’il est sans doute mort en faisant ce qu’il aimait. Mais bon …

C’est avec la boule au ventre que j’entame cette dernière section du Washington. De l’avis de nombreux hikers, à la fois belle et éprouvante.

Départ dans la brume
Et dans les fleurs

Le chemin s’affranchit vite des derniers rideaux forestiers pour atteindre des hauteurs permettant d’observer les nombreux sommets de la région.

Cascades or Rocky mountains ?

Les buissons commencent à se parer de leur tenue automnale. Tranchant avec le vert omniprésent des conifères et des prairies. Ils sont recouverts de fleurs et de baies (blueberries et huckleberries) que je n’hésite pas à grappiller tout au long du parcours.

Le parcours, très accidenté, n’est pas pour me déplaire même s’il est particulièrement éprouvant. Pour la première fois, depuis mon entrée dans le Washington, je coince physiquement lors de certains passages (descentes) où je progresse très lentement en limitant les risques.

Neiges éternelles du Washington
But evergreen state

Un voile de chaleur s’installe sur les sommets et menace de tourner à l’orage. Le chemin s’approche lentement de Glacier Peak, le dernier grand sommet des Cascades avant le Canada. Comme d’habitude, les moments où il s’offre totalement à la vue sont rares. Le PCT est maître dans l’art du suspense et du contournement.

Peaceful way

Quelques beaux lacs (Valhala, Janus, Pear) apportent leur touche turquoise à de magnifiques tableaux. Alimentés par de nombreux ruisseaux coulant depuis les glaciers.

Même en relative méforme, j’essaie de parcourir au moins 25 miles pour atteindre Stehekin en 4 jours. Paradoxalement, je vais aussi vite dans les montées que dans les descentes.

Lors de certains passages délicats, je ne peux m’empêcher de penser à l’accident potentiel. A l’amour de mes proches et ces petites phrases banales « prends soin de toi », « fais attention » … Qui aujourd’hui prennent un relief différent.

Aussi, quand je ressens un profond épuisement, peu avant Pass Creek et son eau glacée, je décide de m’arrêter et d’installer la tente.

Depuis Steven Pass, beaucoup d’espaces de campement sont indiqués et plus ou moins « officialisés ». On y trouve aussi des toilettes sèches en plein air. Où vous pouvez vous soulager, au vu et au su de tout ce qui vous entoure.

Chambre solo
Avec wc collectifs

Ce soir, quelques gouttes de pluie tambourinent sur les parois de la tente. J’avale rapidement mes ramen et quelques fruits secs. Et, harassé de fatigue, je bats sans doute un record dans l’art de trouver le sommeil. Demain matin, je franchirai la barre des 4000 km.

Cascade dans la chaîne des Cascades
Et toujours ces beaux lacs

J 120 – 28 août. Mile 2464 puis Leavenworth.

L’enchantement du Washington continue. Au terme d’une magnifique étape alpestre, je suis transporté ce soir au coeur de la Bavière en découvrant la petite ville de Leavenworth.

Pour cela il m’a fallu user la semelle sur un parcours de plus en plus exigeant. Une succession de montées et descentes sur tous les sols possibles. Des corniches sableuses aux éboulis de roches en passant par les tourbières humides et les tapis d’aiguilles.

Il y a bien aussi quelques rivières à traverser. Des plus affolées aux ruisseaux paisibles. Mais sans difficulté grâce aux pierres de gué ou aux petits ponts de bois.

Une fois n’est pas coutume, je me mets en route à 6h30. Ça grimpe fort, ce qui n’est pas pour me déplaire. Et puis j’envisage, sans garantie d’y arriver, de faire les 30 miles qui me séparent de Steven’s Pass et de la prochaine route.

Le beau temps et la chaleur atténuent les difficultés. Car on devine la rudesse des lieux sous un ciel moins clément. Il suffit de traverser les tronçons de forêt primaire ou de tenter de garder l’équilibre sur les éboulis pour comprendre que cette montagne subit les affres du temps (dans tous les sens du terme).

Je mesure la forme physique à la manière dont j’aborde les descentes. En effet, je fais partie de ceux qui préfèrent quand le chemin monte. Mais aujourd’hui, motivé par le terme de l’étape, je fais preuve de souplesse et entame chaque descente sur un rythme de trailer, entre marche et course à pied. Il m’a fallu presque 4000 km pour enfin trouver le bon rythme.

Hyas Lake
Hyas Lake

Si le Washington est surnommé « Evergreen state », c’est bien sûr pour son manteau de forêts profondes et denses. Mais j’ajouterais volontiers la teinte émeraude de ses nombreux lacs. Une splendeur dont je ne me lasse pas.

Déception Lakes
Deception Lake I
Deception Lake II
Deception Lake III

Je maintiens une allure élevée qui me permet d’atteindre Steven Pass et ses pistes de mountain bike vers 17h30. De cette station sans charme, la route offre trois options : rester ici (un hôtel), faire du stop pour Skykomish à l’ouest, idem pour Leavenworth à l’est. Je choisis cette troisième possibilité car quelques Sobos rencontrés à Packwood m’avaient recommandé cette ville.

La première voiture qui passe s’arrête. Hiker Friendly Washington ! Greg va ainsi me faire l’article de Leavenworth et de ses brasseries et restaurants bavarois. Trente minutes intéressantes et sympathiques.

Greg, ne laisse jamais un hiker au bord de la route

Et me voici transporté dans un mini Munich (ou Bamberg si vous connaissez) où les descendants d’une communauté bavaroise entretiennent les traditions et le savoir vivre.

Je trouve (merci Booking) un hôtel confortable à prix bradé où je peux faire une lessive et quelques longueurs dans une piscine intérieure. Après avoir acheté de nouvelles chaussettes et renouvelé mon stock de nourriture, je prends plaisir à flâner dans cette ville étonnante. Non sans avoir fait le plein de calories et de houblon à une cantine bavaroise typique.

Place du centre-ville
Idem
Taverne
Magasin d’articles de sport

De tels moments sont appréciables et appportent un terme peu banal à une magnifique journée sur le PCT.

Think of u

J 119 – 27 août. Mile 2435.

Superbe journée. J’y retrouve tous les ingrédients de la randonnée en montagne. Avec la chaleur en prime.

Le PCT passe d’une vallée à une autre par une succession de montées et descentes. Évoluant dans des reliefs accentués et des paysages variés. Le Washington est la bonne surprise de cette fin d’aventure. Une montagne exigeante et sauvage aux confins du territoire américain.

Summit chief
Matin à l’ombre

Il y a encore quelques passages en forêt, garantissant un peu de fraîcheur, mais la majeure partie de l’étape se fait en hauteur. A flanc de falaises ou en lignes de crêtes.

Beaucoup de pierres au sol qui finissent progressivement par massacrer ma dernière paire de chaussures. Elles devront encore durer 2 semaines contrairement aux chaussettes dont le remplacement est devenu une priorité.

Je marche à une allure régulière en étant vigilant du fait des nombreux obstacles. Pas suffisamment toutefois, car lors d’un passage délicat, je glisse sur une pierre et tombe lourdement sur le côté. En voulant me rattraper, je me retourne un doigt (l’index gauche).

Rien de grave. Immédiatement remis en place (ah, les souvenirs de rugby) et bandé avec le doigt voisin, je prends de l’ibuprofène et continue le chemin. Juste un avertissement et une invitation à être attentif jusqu’au bout. Ce serait trop con de se blesser à 250 miles du Canada.

Unnamed pond

Quand le PCT croise un torrent ou une rivière, je prends systématiquement le temps de faire une pause fraîcheur. Il faut dire que le beau temps est de la partie (tant mieux) et que j’ai augmenté sensiblement ma consommation d’eau.

Delate Creek
Pont sur Spade Creek
Spinola Creek

Peu de hikers rencontrés au cours de cette journée. Je suis toujours devant la « bulle » des PCT days. Renforçant ainsi cette impression de solitude qui marque la fin du parcours. Ces moments sont propices à la réflexion et aux pensées tous azimuts. Pour la plupart positives et enthousiastes. Il y a presque une forme d’ivresse à marcher ainsi des heures dans de tels paysages.

Waptus Lake

En fin d’après-midi, je marche en écoutant des podcasts pour reposer un peu le cerveau. Le rythme est peu élevé (la chute de ce matin m’a fait ralentir) mais suffisant pour faire 28 miles. Jusqu’à un emplacement idéal pour passer la nuit. En bord de rivière et avant une montée.

Waptus river

Les jours raccourcissent. Le temps d’installer la tente et de grignoter le dîner du hiker, la nuit est tombée. Le bruit de la rivière toute proche sera ma musique du soir pour trouver le sommeil.

Pause déjeuner