Dis-moi pourquoi tu marches ?

Ah la belle question que voilà ! En apparence anodine mais qui touche à l’essentiel. On pourrait aussi dire dis-moi « A QUOI » tu marches ? Ou « VERS QUOI » tu marches ?

Car au-delà de toutes les considérations matérielles et pratiques, des bienfaits de l’activité physique pour le système cardio-vasculaire, des shoots d’adrénaline et d’endorphine pour réguler le sommeil ou la libido, des calories brulées pour garder la ligne ou d’un quelconque défi réussi pour accrocher une « médaille » à son tableau personnel, etc… Il faut bien admettre qu’il n’y a pas de vérité, de raison ou d’urgence à choisir la marche.

Marche inutile

L’époque est à la glisse, à l’assistance ambulatoire, à l’effort mesuré, à la téléportation. Le piéton et le randonneur sont des anachronismes. Tolérés pour leurs bonnes manières, leur faible empreinte carbone ou leur état transitoire.

« Un piéton n’est jamais qu’un individu qui va chercher sa voiture » – Frédéric Dard.

Il parait que dans certaines zones résidentielles des US, le fait de se déplacer à pied attire immédiatement la suspicion. Il faudra donc bientôt avancer une explication sensée à la divagation pédestre. Sans en arriver à cet excès, il est vrai que, d’escalators en deux-roues électriques, de jobs sédentaires en plateaux télé, ma vie citadine et paresseuse est une dissuasion permanente à la marche.

Marche essentielle

Alors, quelle force imbécile ou lucide me pousse à mettre à l’épreuve la mécanique du corps ? A rompre avec le confort nourricier d’un quotidien rassurant ? A préférer la lenteur aux fulgurances et aux inerties de l’époque ? A partir plutôt que rester ?

Je me garderai bien d’amorcer un début de réponse tant elle serait banale sinon décevante.

En février 2007, à l’hospice de Roncevaux où je fis une pause lors d’une longue étape sous la neige, je renseignai le questionnaire ouvert aux pèlerins de Compostelle afin d’obtenir un magnifique tampon sur la créanciale. A la question « pour quelle raison, faites-vous le Chemin de Compostelle ? », je cochai toutes les cases (Spirituelle, Sportive, Culturelle, Religieuse, etc…) et rajoutai même « JE NE SAIS PAS ».

Dix ans plus tard, à quelques mois du PCT, après avoir usé des dizaines de paires de chaussures, allégé avec zèle le sac à dos et accroché malgré moi quelques rides au front, je ferais sincèrement la même réponse.

Qu’il s’agisse d’un pèlerinage, d’une aventure sportive au long cours ou d’une balade dominicale, toute marche est un voyage intérieur. En s’imposant un rythme et une temporalité différents, on s’ouvre à la réflexion, à la contemplation et à la méditation. L’itinérance et la vie nomade sont pour moi un moyen de vivre tout cela, d’éprouver la liberté et de connecter « ce qui m’entoure » à « ce qui m’habite ».

Marche naturelle

Enfin, argument convenu ou excuse facile, j’aime dame Nature et ses atours : le rythme des saisons, les cycles de lune, l’odeur de la pluie d’été et du foin coupé, le vent dans les arbres et l’air du large, le bruit de l’eau, le silence des cimes, les premières traces dans la neige, la lumière du matin, la voie lactée, les nuances de vert, le sable sous les doigts, le goût des fruits glanés, les sentiers de montagne et ceux qui ne sont sur aucune carte.

Marcher, c’est simple comme mettre un pied devant l’autre. C’est provoquer la chance d’aller à la rencontre des autres et de soi-même ; de faire cohabiter l’absurde et la quête de sens, l’acuité et le lâcher prise, les grands espaces et l’Intime. D’en apprendre toujours davantage tout en continuant à ne rien savoir.


« Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or. » – Sylvain Tesson

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