J 41 – 10 juin. Tyndall Creek (mile 775)

« Je m’en irai dormir dans le paradis blanc. Ou les nuits sont si longues qu’on en oublie le temps ». Mais pour cela, il faudra endurer des journées de marche dans la neige, aller se perdre dans des vallées balayées par les avalanches, suivre un chemin qu’on ne voit jamais, traverser des torrents bouillonnants, se sentir tout petit au milieu d’une immensité aussi belle que sauvage.

Le PCT prend une autre envergure dans cette traversée de la Sierra Nevada. Il est raisonnable, avec l’enneigement exceptionnel de 2019, de limiter ses journées à 20 miles (33 km), voire moins. Le dénivelé est costaud et le fait de marcher des heures dans la neige requiert un effort intense.

Départ ce matin, à 6 heures 30 pour progresser plus facilement sur la neige gelée. Microspikes aux pieds, l’accroche se fait parfaitement, y compris dans les fortes pentes. Au programme de cette journée, quatre traversées de torrents, deux descentes au piolet et la traversée de magnifiques plateaux.

A l’effort sportif vient s’ajouter une part de méditation active. Le silence et l’immensité des paysages y sont pour beaucoup. Seuls la respiration et le bruit des crampons dans la neige viennent troubler le silence. Tout autour, on distingue les cirques glaciaires et les éperons de granit de la Sierra. Le temps semble suspendu pendant ces heures de marche.

A Rock Creek, la première traversée d’un torrent bien agité se fait sans encombre, grâce à un arbre en travers. Je passe le premier, et depuis l’autre rive, prends en photo Crocodile et Psycho lors de leur passage.

Un pont de circonstance
Crocodile
Psycho

À la jonction du John Muir Trail qui file vers le Mont Whitney, quelques tentes sont posées dans un campsite dégagé de toute neige, bear box et sacs suspendus dans les arbres. Leurs propriétaires sont allés tenter l’ascension.

Campement des Whitney climbers
Sacs à l’abri des ours

Je taquine mes deux « collègues ». « Alors on le grimpe ce sommet ? ». Ils ne sont pas chauds du tout. Comme un fait du hasard, on croise un ranger qui confirme leur crainte. En off PCT, une année normale, 70 % des hikers tentent l’ascension du plus haut sommet des USA (hors Alaska). Cette année, la tendance n’est que de 20%. Avec de nombreux incidents et abandons. Selon lui, tout rentrera dans l’ordre fin juillet avec la fonte. Fin septembre, ce sera un beau challenge pour notre road trip post PCT.

En quête d’émotions fortes, je m’offre un premier glissading (longue descente d’une forte pente sur les fesses) pour rejoindre Whitney Creek. Sans fracas ni heurt de rocher à fleur de neige. C’est plutôt fun.

Traces de luges improvisées

La traversée du torrent qui suit nous oblige à mettre les pieds dans l’eau glaciale. S’ensuit une halte au soleil, pour faire sécher et réchauffer les pieds. Peine perdue quand il faut les remettre dans des chaussures trempées.

Peu de courant mais eau glacée

Les deux derniers torrents ont été franchis grâce à d’immenses ponts de neige, au prix d’une grande imprudence. Mais la fatigue, les pieds gelés à force de « postholing » et l’envie d’en finir nous font prendre des risques. L’objectif est de pouvoir grimper vers Forester Pass demain matin. Tyndall est le dernier emplacement possible. Mais, à cette altitude, la neige recouvre tout. Aussi je pose ma tente dans un espace dégagé au pied d’un sapin, totalement entouré de neige.

Snow bridge

Je mets une demi-heure à réchauffer mes orteils et changer de vêtements. Mes deux compagnons de route ont trouvé chacun un emplacement similaire. Pas de dîner en commun, pas de discussion au coin du feu ce soir, la fatigue est totale. Il est 19 heures, quand j’entends les premiers ronflements malgré le bruit du torrent Tyndall.

Tyndall creek

Dehors, hormis quelques sapins épars, c’est l’immense désert blanc. Je me dis que dormir (chaudement) dans un tel environnement est une vraie chance. A chacun ses paradis blancs.

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